L'activité transport de marchandises de la compagnie ferroviaire deviendra une filiale du groupe au 1er janvier 2020. Chroniquement déficitaire, la nouvelle société devra vite trouver le chemin de l'équilibre opérationnel. Surtout, pour survivre, il lui faudra obtenir le feu vert de Bruxelles pour transférer ses 5,2 milliards de dette à sa maison mère.
L'avenir de Fret SNCF s'obscurcit encore un peu plus. L'activité transport de marchandises de la compagnie publique accumule les déficits, ce n'est pas nouveau, et la direction a présenté début juin aux représentants du personnel les modalités de sa transformation en filiale du groupe ferroviaire, décidée en 2018 dans le cadre de la réforme ferroviaire . Dans le meilleur des cas, les effectifs devraient fondre de 30 % en quatre ans. Mais le coup de rabot pourrait être encore plus prononcé, et une liquidation pure et simple à terme n'est plus à exclure si les difficultés financières persistent.
Pour survivre, Fret SNCF doit en effet surmonter deux difficultés majeures. La première tient à son nouveau statut de société par action simplifiée (SAS) au 1er janvier 2020. L'entreprise devra alors en finir avec des pertes opérationnelles récurrentes. Celles-ci, alourdies par la grève contre la réforme ferroviaire , ont atteint 172 millions l'an dernier.
1.800 postes en moins en quatre ans.
Afin d'atteindre l'équilibre en 2021, une nouvelle organisation prévoit des suppressions de postes, pour passer de 6.300 salariés aujourd'hui à 4.500 fin 2023, dans la droite ligne des mesures de baisse des effectifs depuis dix ans. Dans le même temps, la direction a prévenu qu'elle proposerait une négociation début 2020 pour « réviser certains points des normes existantes en matière d'organisation du temps de travail ». Les syndicats pourront-ils refuser ? S'ils ne jouent pas le jeu, Fret SNCF pourrait mettre la clef sous la porte à moyen terme.
Car la nouvelle société disposera de 170 millions d'euros de fonds propres, mais elle risque de voir ses ressources réduites à zéro en cas de pertes persistantes. Et une recapitalisation serait alors extrêmement compliquée, pour ne pas dire impossible, puisqu'elle nécessiterait l'approbation de Bruxelles.
Plainte pour aide d'Etat illégale
Outre le fait que cette recapitalisation risque de faire s'étrangler la DG Concurrence, la Commission a Fret SNCF dans le collimateur. Depuis 2016, ses services sont saisis d'une plainte pour aide d'Etat illégale. Cette procédure, lancée par des nouveaux entrants sur le marché, vise la SNCF et d'autres opérateurs historiques européens.
En empilant les pertes, Fret SNCF a constitué une énorme dette . Celle-ci a crû de 3 milliards d'euros en 10 ans et devrait atteindre cette année 5,22 milliards d'euros ! Impossible d'imaginer sortir la tête de l'eau avec un tel fardeau, qui alourdit le déficit de 160 millions de frais financiers par an.
Gymnastique comptable
Au moment de la filialisation, ces 5,2 milliards de dettes devraient être remontés à la maison mère SNCF. La Commission ne s'est pas prononcée sur l'opération, car elle veut d'abord traiter la plainte pour aide illégale. Dans l'attente, le groupe ferroviaire va mener une gymnastique comptable compliquée, avec d'un côté les comptes de la filiale, et au niveau de la holding de tête, ceux d'une « business unit » fret, y ajoutant la dette et les frais financiers qu'elle génère.
La Commission finira-t-elle par accepter la recapitalisation ? En cas de réponse négative, et cette option est loin d'être exclue sur le fond du dossier, Fret SNCF serait contraint de rembourser les 5,2 milliards à sa maison mère, et faute de pouvoir le faire, ferait faillite.
Risque de contre-choc écologique
Dans ce dossier, le meilleur atout de la société reste la dimension environnementale de son activité. « Si Fret SNCF devait déposer le bilan, avance une source au fait du dossier, entre 30 % et 50 % des volumes transportés basculeraient immédiatement vers la route. » Un contre-choc écologique majeur, que Bruxelles souhaitera sans doute éviter. « Il y a par ailleurs un risque systémique, poursuit la source. Plusieurs compagnies ferroviaires publiques sont dans une situation similaire. Si la SNCF est condamnée, elles devront l'être aussi. »
Une solution intermédiaire existe : estimer que la future société est un nouvel acteur, qui n'est pas comptable des errements passés. Cette lecture a permis aux repreneurs de l'ex-compagnie maritime SNCM d'échapper aux remboursements des aides d'Etat passés. Mais cela suppose une « discontinuité économique » marquée entre les deux entités concernées. Ce qui se traduirait dans le cas de Fret SNCF par une baisse très nette de son chiffre d'affaires et de ses effectifs.
Source : Les Echos